lundi 16 février 2009

Conclusion :



Pour conclure voici un extrait de Germinal,
Situé à la fin du Chapitre Six de la Première Partie:

Pendant qu'Etienne se débattait ainsi, ses yeux, qui erraient sur la plaine immense, peu à peu l'aperçurent. Il s'étonna, il ne s'était pas figuré l'horizon de la sorte, lorsque le vieux Bonnemort le lui avait indiqué du geste, au fond des ténèbres. Devant lui, il retrouvait bien le Voreux, dans un pli de terrain, avec ses bâtiments de bois et de briques, le criblage goudronné, le beffroi couvert d'ardoises, la salle de la machine et la haute cheminée d'un rouge pâle, tout cela tassé, l'air mauvais. Mais, autour des bâtiments, le carreau s'étendait, et il ne se l'imaginait pas si large, changé en un lac d'encre par les vagues montantes du stock de charbon, hérissé des hauts chevalets qui portaient les rails des passerelles, encombré dans un coin de la provision des bois, pareille à la moisson d'une forêt fauchée. Vers la droite, le terri barrait la vue, colossal comme une barricade de géants, déjà couvert d'herbe dans sa partie ancienne, consumé à l'autre bout par un feu intérieur qui brûlait depuis un an, avec une fumée épaisse, en laissant à la surface, au milieu du gris blafard des schistes et des grès, de longues traînées de rouille sanglante. Puis, les champs se déroulaient, des champs sans fin de blé et de betteraves, nus à cette époque de l'année, des marais aux végétations dures, coupés de quelques saules rabougris, des prairies lointaines, que séparaient des files maigres de peupliers. Très loin, de petites taches blanches indiquaient des villes, Marchiennes au nord, Montsou au midi ; tandis que la forêt de Vandame, à l'est, bordait l'horizon de la ligne violâtre de ses arbres dépouillés. Et, sous le ciel livide, dans le jour bas de cet après-midi d'hiver, il semblait que tout le noir du Voreux, toute la poussière volante de la houille se fût abattue sur la plaine, poudrant les arbres, sablant les routes, ensemençant la terre.

Etienne regardait, et ce qui le surprenait surtout, c'était un canal, la rivière de la Scarpe canalisée, qu'il n'avait pas vu dans la nuit. Du Voreux à Marchiennes, ce canal allait droit, un ruban d'argent mat de deux lieues, une avenue bordée de grands arbres, élevée au-dessus des bas terrains, filant à l'infini avec la perspective de ses berges vertes, de son eau pâle où glissait l'arrière vermillonné des péniches. Près de la fosse, il y avait un embarcadère, des bateaux amarrés, que les berlines des passerelles emplissaient directement. Ensuite, le canal faisait un coude, coupait de biais les marais ; et toute l'âme de cette plaine rase paraissait être là, dans cette eau géométrique qui la traversait comme une grande route, charriant la houille et le fer.

Les regards d'Etienne remontaient du canal au coron, bâti sur le plateau, et dont il distinguait seulement les tuiles rouges. Puis, ils revenaient vers le Voreux, s'arrêtaient, en bas de la pente argileuse, à deux énormes tas de briques, fabriquées et cuites sur place. Un embranchement du chemin de fer de la Compagnie passait derrière une palissade, desservant la fosse. On devait descendre les derniers mineurs de la coupe à terre. Seul, un wagon que poussaient des hommes jetait un cri aigu. Ce n'était plus l'inconnu des ténèbres, les tonnerres inexplicables, les flamboiements d'astres ignorés. Au loin, les hauts fourneaux et les fours à coke avaient pâli avec l'aube. Il ne restait là, sans un arrêt, que l'échappement de la pompe, soufflant toujours de la même haleine grosse et longue, l'haleine d'un ogre dont il distinguait la buée grise maintenant, et que rien ne pouvait repaître.

Alors, Etienne, brusquement, se décida. Peut-être avait-il cru revoir les yeux clairs de Catherine, là-haut, à l'entrée du coron. Peut-être était-ce plutôt un vent de révolte, qui venait du Voreux. Il ne savait pas, il voulait redescendre dans la mine pour souffrir et se battre, il songeait violemment à ces gens dont parlait Bonnemort, à ce dieu repu et accroupi, auquel dix mille affamés donnaient leur chair, sans le connaître. 



FIN

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