lundi 23 février 2009

Première note :



Mardi 26 Février 1884,

J’ai froid . Ça fait bien deux bonnes heures que je marche, tout seul dans le froid …

Je suis sur la route joignant Marchiennes à Montsou. Pourvu qu’il fasse moins froid au levé du soleil, mais sans travail et sans gîte, il m’est bien difficile d’espérer.

J’aperçois des feux rouges, j’hésite un instant, mais je ne peux résister au besoin de réchauffer ma pauvre carcasse. Je me dirige vers le brasier par un chemin creux.

Dans cette nuit noire comme le charbon, j'ai l'impression d'être aveugle. Je ne distingue que peu de choses : une palissade, quelques murs de grosses planches fermant une voie ferrée, un talus d’herbe à gauche, surmonté d’un pignon et les toitures d’un proche village. Paysage banal. Les feux réapparaissent. Comment brûlent-ils si haut dans le ciel ?

Soudain, un spectacle nouveau accroche mon regard : une masse lourde, un tas écrasé de construction d’où se dresse, dans l’ombre, une cheminée d’usine. Quelques fenêtres pleines de crasse, cinq ou six lanternes accrochées à des charpentes noircies. Brusquement, le bruit ! Un échappement de vapeur. Je cherche la source de ce bruit, elle demeure invisible.

J’écris, confusément mais j’écris… Je m’arrête, une fosse. J’ai honte. A quoi bon ? Il n’y aura pas de travail par ici. Je gravis le terri, sur lequel brûlent trois feux de houille. Par là-bas, quelques ouvriers, j’entends le bruit de trains que l’on pousse… Un vieillard m’apparaît: il est vêtu d’un tricot de laine violette et coiffé d’une casquette en poil de lapin. Nous nous saluons, le silence se fait long et gênant. Mal à l’aise, je me présente rapidement : "Etienne Lantier, machineur". Le vieillard semble rassuré, mais m’annonce qu’ici ils n’ont pas besoin de machineur. Le vent souffle. Je désigne du doigt le tas sombre de constructions et demande :
 « C’est une fosse, n’est-ce pas? ».Question stupide. L’homme est pris d’une terrible toux.

Une fosse, le Voreux et tout près le coron. Le vieil homme se présente : Vincent MAHEU dit Bonnemort. Nous parlons, j’arrête d’écrire.


              • Extrait de Germinal d'Emile Zola:
              "Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Etienne, qui s'oubliait devant le brasier à chauffer ses pauvres mains saignantes, regardait, retrouvait chaque partie de la fosse, le hangar goudronné du criblage, le beffroi du puits, la vaste chambre de la machine d'extraction, la tourelle carrée de la pompe d'épuisement. Cette fosse, tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques, dressant sa cheminée comme une corne menaçante, lui semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde."


              • Une note d'Histoire:
              Témoignage:

              Betty Harris,37 ans : je me suis mariée à 23 ans et c'est seulement après que je suis descendue à la mine; je ne sait ni lire ni écrire. Je tire les wagonnet de charbon, et je travaille 12 heures par jour. J'ai une ceinture autour de la taille, une chaîne qui me passe entre les jambes et j'avance avec les mains et les pieds. Le chemin est très raide, et nous sommes obligés de nous tenir à une corde, nous nous accrochons à tout ce que nous pouvons saisir.
              Dans le puits où je travaille, il y a six femmes et une demi-douzaine de garçons et filles; c'est un travail très dur pour une femme. A l'endroit où je travaille, la fosse est très humide et l'eau noire passe parfois jusqu'aux cuisses. Mes vêtements sont trempés presque toute la journée.
              Témoignage d'une Anglaise en 1845.

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